Un livre intriguant et fascinant : « Let my people go surfing »

Patagonia est une célèbre marque de vêtements de plein air fondée en 1973 à Ventura, en Californie, par Yvon Chouinard.

Frédéric Laloux, dans son livre « Réinventer les organisations », publié en 2014, mentionne plusieurs fois l’entreprise comme un exemple d’entreprise innovante.

Lorsque nous avons réorganisé notre bibliothèque à BSL et créé un fichier de nos livres, j’ai découvert un livre avec une belle image sur la couverture (un bord de mer avec des vagues et des prairies vertes) et un titre intriguant : « Let my people go surfing. The Education of a Reluctant Businessman », écrit par Yvon Chouinard et publié en 2005 et 2016.

Ce titre m’a interpellé, car j’avais lu le livre de Frédéric Laloux il y a quelques années, et j’ai décidé de le lire.

Le livre de Chouinard se compose de deux parties. La première présente son autobiographie et une courte histoire des entreprises qu’il a créées. La seconde explique les différentes philosophies développées au fil des années pour faire de Patagonia une entreprise innovante, différente et durable.

SKUNKWORKS, Chouinard Equipment Company portrait, Ventura , California , 1969. Left to right: Tom and Dorene Frost, Tony Jessen, Dennis Henneck, Terry King, Yvon Chouinard, Merle, and Davey Agnew.

L’autobiographie de l’auteur et l’histoire de l’entreprise

Cette première partie est très importante, car elle permet au lecteur de comprendre comment la personnalité du fondateur explique les différentes philosophies développées dans la deuxième partie.

Né en 1938 dans la province de Québec au Canada et de langue maternelle française, Yvon Chouinard a déménagé, enfant, en Californie en 1946 avec sa famille. Comme vous pouvez l’imaginer, ce fut un grand défi pour lui au début d’affronter une nouvelle langue et de nouveaux camarades de classe. Devenir membre du Southern California Falconry Club l’a aidé à s’intégrer dans son nouvel environnement. Il avait un grand amour de la nature et une passion pour l’escalade. La pêche à la mouche était un autre de ses passe-temps.

Sa passion pour ces activités de plein air l’amène en 1957 à gagner sa vie en forgeant des pitons et des mousquetons.

Contrairement à l’Europe, les grimpeurs d’Amérique du Nord reprennent leurs pitons afin de laisser la nature intacte. Par conséquent, chaque expédition d’escalade crée de nouveaux trous dans la roche, ce qui finit par nuire à l’environnement. Chouinard s’est alors rendu compte qu’il fallait trouver un meilleur moyen et Chouinard Equipment a commencé à produire des cales d’escalade propres pour remplacer les pitons.

Sa passion pour la pêche à la mouche l’amène à se battre pour le démantèlement des barrages, qui empêchent la reproduction des saumons, et la restauration des zones de frai.

À la page 38, Chouinard se décrit au début des années 70, lorsqu’il lance Patagonia : « J’avais toujours évité de me considérer comme un homme d’affaires. J’étais un grimpeur, un surfeur, un kayakiste, un skieur et un forgeron ». En fait, il a passé beaucoup de temps à tester les produits de l’entreprise (ce qui lui a donné une connaissance de première main du marché et des clients) !

Les pages suivantes décrivent les difficultés rencontrées par l’entreprise, la décision de privilégier la qualité plutôt que la croissance, et la manière dont elle s’est néanmoins développée de manière significative.

Les philosophies

Voici la première valeur de Patagonia telle que définie en 1991 lors d’un voyage de l’équipe de direction en Patagonie :

« Toutes les décisions de l’entreprise sont prises dans le contexte de la crise environnementale. Nous devons nous efforcer de ne pas nuire. Dans la mesure du possible, nos actes doivent servir à diminuer le problème. Nos activités dans ce domaine feront l’objet d’une évaluation et d’une réévaluation constantes, car nous cherchons à nous améliorer constamment » (p.63).

Un autre engagement très fort est le suivant :

« Pour contribuer à atténuer les conséquences négatives de notre activité commerciale sur l’environnement, nous nous imposons une taxe annuelle de 1 % de nos ventes brutes, ou de 10 % de nos bénéfices, le montant le plus élevé étant retenu. Tous les revenus de cette taxe sont alloués à la communauté locale et à l’activisme environnemental » (p.64).

Ces valeurs, qui font également référence à une organisation horizontale et à une politique de « livre ouvert », sont la source des huit philosophies détaillées dans le livre : conception du produit, production, distribution, marketing, finances, ressources humaines, gestion et environnement. La philosophie de la conception du produit et la philosophie environnementale sont de loin les plus développées dans les pages suivantes du livre.

Il n’est bien sûr pas possible de les résumer toutes dans un tel blog, malgré leur intérêt.

Les quelques exemples qui suivent ne sont qu’une mise en bouche.

La philosophie de conception des produits s’articule autour de questions telles que : Est-il fonctionnel ? Est-il multifonctionnel ? Est-il durable ? Sommes-nous simplement en train de courir après la mode ?

La définition du produit idéal que j’utiliserais pour résumer ce chapitre complet est la suivante : « fonctionnel, aussi simple que possible, durable, réparable, adapté au client, facile à entretenir et à nettoyer, ne causant aucun dommage inutile et par conséquent beau ».

Permettez-moi de citer Chouinard car ces lignes sont un excellent exemple de son humour et m’ont fait rire et réfléchir : « Quand je mourrai et que j’irai en enfer, le diable fera de moi le directeur du marketing d’une compagnie de cola. Je serai chargé d’essayer de vendre un produit dont personne n’a besoin, qui est identique à celui de la concurrence et qui ne peut être vendu pour ses mérites. Je serais en concurrence directe dans la guerre des colas, sur le prix, la distribution, la publicité et la promotion, ce qui serait effectivement un enfer pour moi. Rappelez-vous, je suis l’enfant qui ne pouvait pas jouer à des jeux de compétition. Je préfère de loin concevoir et vendre des produits si bons et si uniques qu’ils n’ont aucune concurrence. » (pp.86-7)

Politique d’horaires flexibles de « Let My People Go Surfing »

Nous trouvons une explication du titre du livre dans la philosophie des ressources humaines.

« C’est notre premier principe d’embauche (…) que le plus grand nombre possible d’employés de Patagonia soient aussi de vrais clients de Patagonia. » (p.157). La politique d’horaires flexibles « Let my People Go Surfing » (un avantage majeur) a permis à Patagonia « de garder des employés de valeur qui aiment trop leur liberté et le sport pour se contenter des contraintes d’un environnement de travail plus réglementé » (p.162).

Un autre avantage important pour les employés est le Great Pacific Child Development Center, qui est bien plus qu’un simple jardin d’enfants.

Conclusion

Ce qui m’a le plus impressionné en lisant ce livre, c’est l’alignement parfait de toutes les philosophies, et la façon dont les valeurs fortes au cœur de l’entreprise imprègnent tous les aspects de la culture d’entreprise.

Je ne peux que vous encourager à lire ce livre qui vous ouvrira les yeux.

Photos

Bandeau : John Salathé and Yvon Chouinard at Camp 4, Yosemite Valley, California, October 1964

Crédits minitature : Ajay Suresh from New York, NY, USA, CC BY 2.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/2.0>, via Wikimedia Commons

Crédits bandeau et article: Tom Frost, CC BY 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/3.0>, via Wikimedia Commons

NB

Ce blog post est originellement par sur le blog de Business School Lausanne : www.bsl-lausanne.ch

 

Philippe Du PasquierPhilippe Du Pasquier est Président de Business School Lausanne et membre du Conseil d’Administration de l’Ecole Lémania.