Ovomaltine, Rolex, Nescafé, Swatch ou Nagra. Qu’ont-ils en commun ?

Crédit photo blog: Guilhem Vellut, CC BY 2.0 , via Wikimedia Commons


Dans son numéro du printemps 2023, la revue Immorama, fondée par Thierry Barbier-Mueller en 1977, consacre un passionnant dossier, préparé par les journalistes Emmanuel Grandjean et Thierry Oppikofer à ceux (et celles) qui ont aussi fait la Suisse. L'occasion de réfléchir à l'impact que peut avoir l'Ecole Lémania dans notre pays.

Autrefois : une migration saluée

Des artistes illustres, tels les peintres Paul Klee ou Oskar Kokoschka, des savants comme Albert Einstein ou Auguste Piccard, des écrivains comme Hermann Hesse ou Rainer Maria Rilke ont vécu en Suisse, s’y sont parfois installés définitivement et ont pour certains obtenu la nationalité suisse.

Mais ils n’ont pas été les seuls. En effet, nombre d’industriels d’origine étrangère ont également choisi la Suisse pour y développer leurs activités. Certains sont venus d’Allemagne, comme Henri Nestlé, Georg Wander ou Hans Wilsdorf, d’autres de Pologne, comme Antoine Norbert de Patek ou Stefan Kudelski. Quant à Nicolas Hayek, c’est à Beyrouth qu’il est né.

Publicité Ovomaltine, 1932 « Volksgesundheit » (Zeitschrift). Bern, Public domain, via Wikimedia Commons

Le dossier de la revue Immorama nous montre à l’évidence le rôle crucial qu’a joué l’immigration dans le développement de notre pays depuis longtemps, et les noms illustres cités plus haut ne représentent que la pointe de l’iceberg ! Je ne me suis jamais amusé en effet à compter combien de « secundos » (immigrés de la deuxième génération) sont actuellement à la tête de start-up prometteuses en Suisse.

L’attitude positive d’autrefois à l’égard d’étrangers s’installant en Suisse et contribuant à son développement est aujourd’hui clairement remise en question et fait l’objet de vifs débats au moment où la Suisse renouvelle son parlement, le 22 octobre 2023.

Aujourd’hui : une migration qui nous interroge

Le thème de l’immigration figure très clairement parmi les sujets les plus débattus récemment, souvent en lien avec celui de la pénurie de main d’œuvre dans différents secteurs de notre économie., comme le montre un dossier de plusieurs pages paru dans le numéro d’octobre 2023 de PME Magazine.

Sergio Rossi, professeur ordinaire de macroéconomie et d’économie monétaire à l’université de Fribourg affirme, dans une vue prospective : « Les flux migratoires ne diminuant pas en raison des guerres et du changement climatique, trouver un emploi pour ces personnes se révélera indispensable afin d’enrayer la montée des populismes et garantir la cohésion sociale. Cette cohésion est primordiale pour le bon fonctionnement de l’économie ».

Jacques Gerber, PLR, ministre jurassien de l’Economie et de la Santé rappelle que « sans la main d’œuvre étrangère, notre économie ne peut pas tourner ». Il appelle de ses vœux une solution pour régler nos rapports avec l’Union Européenne et le maintien de la libre circulation des personnes.

Michaël Buffat, UDC vaudois, remet en cause cette libre circulation. Selon lui, les migrants provenant de l’UE ne sont pas les bonnes personnes. « Depuis 2007, seuls 20 % d’entre eux constituent de la main d’œuvre hautement qualifiée ». Il préconise de cibler les professions répondant aux besoins de notre économie, et donc de pratiquer une immigration sélective.

Philippe Nantermod, PLR valaisan, souhaite quant à lui un assouplissement des contingents pour les ressortissants d’Etats tiers pour remédier à la pénurie de main d’œuvre dans des secteurs importants de notre économie.

Cette diversité d’opinions montre combien la question est complexe et sensible aujourd’hui.

DoD photo by: TSgt Steve Staedler, Public domain, via Wikimedia Commons

Un drame humain qui ne saurait nous laisser indifférents, et dont les causes se situent hors de la Suisse

Il est clair que le flot migratoire actuel, qui touche la Suisse et dans une plus grande mesure encore d’autres pays européens comme la Grèce ou l’Italie, n’est pas de même nature que la migration d’autrefois que j’ai décrite plus haut. La plupart des migrants qui traversent aujourd’hui la Méditerranée au péril de leur vie sont peu qualifiés et ne nous aideront pas, tout au moins dans l’immédiat, à résoudre nos problèmes de pénurie de main d’œuvre.

Les migrants qui arrivent en Europe d’Afrique, d’Afghanistan ou d’ailleurs, sont, dans leur écrasante majorité, porteurs d’une histoire tragique, et potentiellement d’un espoir pour les membres de leur famille restés au pays. Nous nous devons de les accueillir le mieux possible, et rien n’indique que ce flux migratoire va faiblir dans les prochaines décennies. L’Afrique, un des principaux lieux de provenance des migrants, devrait atteindre en effet deux milliards d’habitants vers 2050, selon les démographes.

Que faire pour que cette tragédie prenne fin ? Et quel rôle la Suisse peut-elle jouer ?

La toute première mesure à prendre à mes yeux, c’est d’améliorer drastiquement les conditions de vie dans les pays de provenance. C’est ce que visent les ODD (Objectifs de Développement Durable) des Nations Unies pour 2030. Malheureusement, nous savons déjà que ces objectifs ne pourront pas être tous atteints à cette date.

Nous devons néanmoins tout faire pour y parvenir en unissant les efforts des gouvernements, des entreprises et des ONG (Organisations Non Gouvernementales). La Suisse participe à de tels efforts par l’intermédiaire de l’Aide publique au développent dont les dépenses ont atteint 4,27 milliards de francs en 2022. A cela s’ajoutent d’importantes contributions d’ONG suisses.

Apaiser les conflits, mettre fin à la déforestation, mieux rétribuer les producteurs de matières premières alimentaires ou autres, rapatrier une partie de la transformation des produits dans les pays producteurs pour y augmenter la plus-value, décarboner les transports et l’industrie, améliorer la santé partout dans le monde, sachant que les causes de morbidité et de mortalité dans les pays en développement ressemblent de plus en plus à celles des pays développés, le catalogue des mesures à prendre urgemment est immense et peut nous décourager. Mais il n’y a pas d’alternative !

Seule une meilleure répartition des richesses, de meilleures conditions de vie dans les pays pauvres et l’espoir d’un avenir meilleur pour la jeunesse de ces pays pourra freiner ce flux migratoire qui met nos démocraties sous pression. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain !

Que peut-on faire ici ?

Le devoir des pays d’accueil est également de former les migrants qui arrivent, de les équiper des compétences et des savoir-faire nécessaires pour qu’ils puissent rapidement s’intégrer dans nos sociétés, y travailler et contribuer au développement de notre pays, comme Henri Nestlé ou Georg Wander ont pu le faire il y a une centaine d’années.

L’Etat y contribue : classes d’accueil, places d’apprentissage, développement des micro-crédits à l’université de Genève.

Les écoles privées y contribuent aussi en prodiguant des cours de langues et des formations de niveaux primaire, secondaire ou universitaire à une clientèle largement internationale dont une partie s’installe dans notre pays.

Plusieurs d’entre elles disposent de fondations octroyant des bourses d’études ou des prêts sans intérêts, comme la Fondation Paul Du Pasquier à l’Ecole Lémania. L’AVDEP (Association Vaudoise des Ecoles Privées) ou la FSEP (Fédération Suisse des Ecoles Privées) peuvent aussi apporter des aides ponctuelles.

Plusieurs écoles privées, dont l’Ecole Lémania, ont accueilli à des conditions préférentielles, pouvant aller parfois jusqu’à la gratuité, des enfants et adolescents ukrainiens en 2022.

Ces efforts montrent bien la volonté des écoles privées de contribuer au besoin de formation des populations migrantes en Suisse et d’accueillir chacun sans discrimination.

Toutefois, leurs moyens sont limités. Elles seraient prêtes à y contribuer davantage en faveur des plus démunis si l’Etat ou des fondations privées pouvaient les financer dans ce but.

Philippe Du PasquierMembre du Conseil d'Administration de l'Ecole Lémania