Deux livres captivants qui nous ouvrent les yeux : L’Entreprise altruiste et net positive

J’ai récemment lu deux livres qui m’ont captivé et qui se rejoignent sur bien des points.
Le premier, écrit par Isaac Getz et Laurent Marbacher s’intitule L’Entreprise altruiste. S’enrichir en donnant tout ! publié en 2019 chez Albin Michel.
Le second, écrit par Paul Polman et Andrew Winston s’intitule net positive. How Courageous Companies Thrive by Giving More than They Take. Il a été publié par Harvard Business Review Press en 2021.

L’Entreprise altruiste

Isaac Getz s’intéresse depuis longtemps au fonctionnement des entreprises libérées et a publié plusieurs ouvrages à ce sujet dont un co-écrit avec Brian M. Carney : Liberté & Cie. Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises (traduction en 2012 du même ouvrage publié en anglais en 2009). Il y montrait à l’aide d’exemples concrets à quel point le transfert de responsabilités vers les salariés permettait aux entreprises d’être plus agiles et en fin de compte plus profitables.

L’ouvrage qui nous intéresse aujourd’hui représente un pas de plus. L’entreprise altruiste repose sur deux idées majeures exposées dès les premières pages du livre : « Ces entreprises considèrent plutôt leurs résultats comme une conséquence organique fruit d’un service authentique de tous ceux avec qui elles interagissent » (p.9). « La seconde idée (…) est plus subtile : se concentrer sur leurs interlocuteurs, sur l’autre, inconditionnellement. » (p.10).

Pour y parvenir, il faut tout d’abord un leader convaincu et inspiré par des valeurs adéquates, apte à développer avec ses salariés une vision tournée vers la création de valeur sociale. Cela aura un impact direct sur les activités du cœur de métier de l’entreprise. Nous sommes donc ici bien au-delà de la philanthropie !

Le livre examine plusieurs exemples de telles entreprises : la fromagerie Le Fédou dans le sud de la France ; l’entreprise pharmaceutique Eisai au Japon ; Docrates, une clinique hollandaise mettant l’humain au centre de ses préoccupations ; FruitGuys, entreprise de livraison aux Etats-Unis ; la fonderie FAVI (déjà évoquée dans Liberté &Cie) ; Ardelaine, une entreprise de tissage installée dans une Zone Urbaine Sensible de Valence (F) et qui transforme son quartier ; et bien d’autres encore.

Un exemple particulièrement développé dans le livre est celui de Handelsbanken, une banque suédoise qui a donné des pouvoirs très étendus à ses directeurs de filiales et favorisé ainsi la proximité avec la clientèle. Cette banque atypique a surperformé son secteur chaque année depuis une quarantaine d’années !

Un chapitre entier intitulé Commencer par se transformer montre bien l’importance du leader dans une entreprise altruiste.

La diversité des exemples mentionnés dans ce livre facile à lire, fourmillant d’anecdotes, montre quant à elle qu’il n’existe pas de recette magique et que chaque entreprise altruiste doit trouver sa voie propre pour se développer et rencontrer le succès.

Net positive

Avec ce second livre, nous entrons dans une autre dimension. En effet, l’ouvrage d’Isaac Getz et de Laurent Marbacher nous faisait rencontrer des PME ou des entreprises un peu plus grandes. Avec net positive, nous pénétrons dans le monde des grandes multinationales et d’Unilever en particulier. Nous verrons que les impacts sont d’une tout autre ampleur.

Paul Polman, après avoir travaillé pour Procter & Gamble, puis Nestlé, est devenu le directeur général d’Unilever de 2009 à 2019. Il a également été président du World Business Council for Sustainable Development et est actuellement le vice-président du UN Global Compact.

Son engagement en faveur du développement durable lui a valu de recevoir un Doctorat Honoris Causa de Business School Lausanne en 2014.

Dès la préface du livre, Paul Polman relève que les deux défis majeurs de notre temps sont le réchauffement climatique et les inégalités et que, sans vouloir discuter du modèle capitaliste (1), c’est en résolvant les problèmes du monde et non en les créant que le monde des affaires doit tirer ses profits.

Il explique ensuite dans l’introduction pourquoi, durant son mandat, Unilever a rejeté l’offre d’achat de Kraft Heinz dont les valeurs étaient à l’opposé de celles d’Unilever, malgré un prix proposé qui aurait fortement enrichi les cadres supérieurs d’Unilever.

La définition d’une entreprise « net positive » repose sur cinq principes fondamentaux :

  1. Prendre la responsabilité de tous les impacts de l’entreprise, qu’ils soient volontaires ou non
  2. Travailler pour le bénéfice à long terme des affaires et de la société
  3. Créer un retour positif pour toutes les parties prenantes
  4. Faire de la valeur actionnariale un résultat et non un but
  5. Développer des partenariats pour conduire des changements de système

Tout commence ici aussi par le leader qui doit avoir le sens de sa mission, être empathique, courageux et capable d’inspirer les autres par son exemple. Il doit aussi s’engager dans les débats sociaux ou politiques. Il est à noter en passant que Paul Polman donne comme exemple d’un leader engagé dans sa mission Yvon Chouinard ( Voir mon blog sur Patagonia   https://www.lemania.ch/article_blog/un-livre-intriguant-et-fascinant-let-my-people-go-surfing/).

Il ne nous est pas possible ici de résumer ce livre dans toute sa richesse ni de développer dans tous ses détails la façon dont Paul Polman a fondamentalement réorienté la stratégie d’Unilever en renonçant aux rapports financiers trimestriels pour se concentrer sur le long terme, en développant des leaders dans l’entreprise, en cédant des marques et en en acquérant d’autres afin d’aligner l’ensemble du portefeuille des marques aux objectifs de l’entreprise, en augmentant la transparence et donc la confiance, en aidant ses fournisseurs à adopter de meilleures pratiques, etc.

J’aimerais juste relever deux points qui m’ont particulièrement frappé :

  1. Le retour aux sources: Au début de son mandat, Paul Polman a décidé d’emmener les cadres supérieurs d’Unilever là où tout avait commencé, à Port Sunlight, ville que William Lever avait commencé à construire en 1887 pour y loger les ouvriers de la première marque de savon, Sunlight, lancée en 1884. Paul Polman voyait là un moyen d’inspirer les cadres en leur rappelant la raison d’être de l’entreprise : l’amélioration de l’hygiène, et son souci dès l’origine de toutes les parties prenantes.
  2. Les partenariats et les prises de position publiques: Paul Polman a tout de suite compris que, malgré l’ambition du Unilever Sustainable Living Plan (ULSP) qui prévoyait de doubler le chiffre d’affaires tout en divisant par deux l’impact environnemental de l’entreprise, une seule entreprise, fût-elle de la taille d’Unilever, ne pouvait suffire à relever les défis gigantesques d’aujourd’hui. D’où ses nombreuses initiatives pour développer des partenariats à différents niveaux : dans la chaîne de valeur, dans un secteur industriel, voire dans des systèmes plus larges. D’où aussi ses prises de position dans la presse et dans différents organes de la gouvernance mondiale et le rôle important qu’il a joué dans l’Accord de Paris.

En guise de conclusion

J’ai beaucoup aimé ces deux livres qui peuvent tous nous inspirer en nous montrant que nous pouvons tous avoir un impact positif sur le monde, à différents niveaux.

Ces deux livres soulignent aussi très clairement qu’avoir un impact positif n’est pas incompatible avec le succès financier d’une entreprise, bien au contraire.

La croissance enfin n’est pas remise en question en tant que telle, mais elle doit être réorientée en vue du bien commun plutôt que pour assurer un revenu maximum aux actionnaires. Comme l’exprime de façon succincte la langue anglaise : Stakeholder Capitalism vs Shareholder Capitalism.

(1) Pour ceux qui aimeraient approfondir la question du capitalisme, des problèmes qu’il soulève et des solutions possibles à ces problèmes, deux livres lus ces dernières années m’ont semblé particulièrement éclairants. Il s’agit de :

Robert B. Reich: Saving Capitalism: For the Many, Not the Few (2015)

Paul Collier: The Future of Capitalism: Facing New Anxieties (2018).

Philippe Du PasquierPrésident de Business School Lausanne et Membre du Conseil d'Administration de Lémania